La jeune fille observait la cour du haut de sa fenêtre. Les rayons du soleil filtraient agréablement. Son visage demeurait inexpressif. Ses yeux fixaient les convives qui débarquaient au compte-goutte. Elle allait bientôt devoir descendre. Saluer. Sourire. Subir. Un long soupir s'extirpa de ses lèvres. Elle retourna s'assoir devant sa maquilleuse. Ses doigts glissèrent sur l'ébène, puis son regard se planta sur son reflet. Telle une dague enfoncée en pleine chair. Contact froid. Glacial. Le bleu polaire de ses pupilles lui seyait à merveille. Si jeune et déjà si désabusée. C'était le prix à payer pour faire partie de ce monde. Le prix de l'enfance. Elle passa une main devant son faciès. Au fur et à mesure de sa traversée, la lassitude laissa place au bonheur. Son masque venait se remettre en place. Il était temps.
« Il est temps Megara. » Les paroles grincèrent en duo avec la porte. Son sourire s'étira alors qu'elle se retournait vers l'intrus. Il lui sourit à son tour. Mensonges. Elle avait envie de prendre le coupe-ongle qui reposait sur la table pour lui graver le mot dans la peau. Mensonges. Mensonges. Mensonges.
« Tu es parfaite ma chérie. » Après tout, il l'avait façonné à son image et selon son bon vouloir. Elle ne pouvait que l'être. La jeune fille se leva et balaya des plis invisibles de sa jolie robe turquoise. Ses mots restèrent bloqués au fond de sa gorge. Seuls ses pieds répondaient, avançant ainsi vers cet individu au regard aussi bleu que le sien. Inexorablement. Elle le haïssait autant qu'elle le chérissait. Megara se sentait obligée de lui obéir. De lui être fidèle et d'accomplir la moindre de ses volontés. Parce que c'était son père. Parce qu'il l'avait élevée pour qu'il en soit ainsi. Ce fut au bras de celui-ci qu'elle descendit les immenses escaliers du hall. L'hypocrisie suintait des pores de leur peau. L'échiquier prenait forme. Les pions étaient en place. Saluer. Sourire. Subir. La mascarade Lancaster pouvait commencer.
Poudlard. Elle avait attendu cet instant toute son enfance. C'était là l'excuse rêvée pour s'éloigner de son bourreau de père et de son pot de fleur de mère. Elle avait beau avoir acquis un contrôle millimétrique de ses émotions, supporter ses parents était un poids dont elle se passait volontiers. Ses épaules semblaient presque délestées d'un poids invisible. Elle se sentait... Libre. Presque euphorique. Megara se trouvait dans la grande salle avec une tripotée d'autres nouveaux élèves. Une seule chose la différenciait du troupeau : son assurance. Elle n'avait qu'onze ans, et pourtant, elle en paraissait déjà quinze. Son regard condescendant scannait les tablées aux couleurs des différentes maisons. Certains regards curieux la fixaient déjà. Elle crut d'ailleurs apercevoir sa sœur rouler des yeux, au loin. La jeune fille s'en satisfaisait discrètement.
« Megara Lancaster ! » Un sourire sarcastique électrisa ses lèvres à l'appel de son nom. Elle alla se positionner sur le tabouret tandis qu'on posait le choixpeau sur sa tête. Celui-ci se prononça sans une seule once d'hésitation.
« Slytherin ! » Avec sa malice et sa suffisance, il ne pouvait en être qu'ainsi. C'était exactement la maison qu'elle avait souhaité rejoindre d'ailleurs.
Sa maison désormais. Les verts et argent applaudirent leur nouvelle recrue. Un mélange d'excitation et de fierté mal placée parcourut ses veines. Elle se sentait étrangement puissante. Les prochaines années s'annonçaient... Passionnantes. Un rire sinistre et indistinct se glissa parmi le vacarme ambiant alors qu'elle rejoignait flegmatiquement les siens.
C'était devenu sa seconde famille. Enfin, "famille", à ce stade et surtout avec Megara, tout restait relatif. Elle se plaisait chez les serpentards. Mais là où on l'appréciait, elle ne faisait jamais que semblant. Elle n'avait pas d'amis, juste des gens qui se fourvoyaient en pensant être ses amis. On la trouvait proche et distante à la fois. Envoûtante et dangereuse. Jeune et sage. L'adolescente formait un tissu de contradictions à elle seule. C'était bien là son charme. Sa désinvolture, son mépris, son audace et sa verve, tout en elle fascinait. Dérangeait presque. Elle pouvait rendre élégant n'importe quel geste banal et semblait pouvoir légitimer le moindre de ses actes. La préparation d'une potion se transformait en danse. L'histoire de la magie devenait un chant. La chevauchée d'un balai se métamorphosait en spectacle sur glace. Même quand elle persécutait les élèves des autres maisons, elle le faisait avec une classe débordante. On l'enviait. Elle était riche et somptueuse. Brillante en cours comme sur le terrain de quidditch. On en venait quasiment à oublier l'impureté de son sang.
Et puis, cette fille,
la fille débarqua à Poudlard. Elle était gentille. Trop pour faire partie des serpentards, d'après Megara. Elle l'observait de loin, tel un vautour guettant sa proie. Elle attendait le bon moment pour l'aborder et préparait tranquillement le terrain. Parfois elle lui glissait l'une de ses œillades subtiles mais glaciales. Glaciales au point d'en devenir brûlantes. Brûlantes et ardentes de désir. Elle la voulait. Et elle l'aurait. Jamais elle n'avait autant convoité quelque chose. Ça l’obsédait. Ça la frustrait. Ça l'excitait. Elle se sentait vivante. Soudain, sa vie semblait prendre tout sens sans qu'elle ne daigne totalement l’admettre. Elle ne voulait pas dépendre de quoi que ce soit. Encore moins d'une personne. Elle qui tenait tant à son indépendance, à sa précieuse liberté. Alors elle préférait se voiler la face et se dire que ce n'était qu'une simple passade. Que lorsqu'elle l'aurait finalement pour elle, cette drôle de sensation s'envolerait aussi vite que ça ne lui était tombé dessus. Un énième défi qu'elle souhaitait ajouter à son palmarès. Un jouet dont elle se lasserait. Son égo criait au déni. Son cœur, jusque là mort et pseudo-inexistant, ne demandait qu'à prendre vie. Son for intérieur se transformait peu à peu en champ de bataille, grignotant lentement son self-control et sa lucidité d'esprit. Megara se voyait perdre pied. Impuissante. Désarmée. Elle s'enchainait à ses repères, devenait de plus en plus imbuvable. Presque lunatique. Atroce. Plus sarcastique que jamais.
Un jour, elle explosa. Un simple entraînement de quidditch. Une simple vanne. Elle feinta un rire. Mais ça l'avait mise en rogne. Elle était simplement trop censée pour le montrer au grand jour. Les minutes passèrent et sans crier garde, elle envoya valser le cognard sur le débile qui avait osé la tester. Qu'il aille rôtir en enfer pour le dîner de Satan. Elle feinta l'accident puis quitta le terrain sans demander son reste. La prochaine fois, il s'adresserait à elle avec un peu plus de respect. Personne ne faisait impunément chier Megara Lancaster sans en subir les conséquences. Elle alla prendre une douche froide pour se remettre les idées en place. Son sang-froid laissait sacrément à désirer ces temps-ci.
Alors qu'elle déambulait à l'écart du château, ses yeux tombèrent nez à nez avec l'objet de ses désirs. Prim. Là. Sur un banc. Elle hésita un long moment. Son cœur manqua de s'extirper de sa cage thoracique. Mais elle restait extérieurement imperturbable. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre la face. Un long soupire s'échappa de ses lèvres. Il était temps. Avec toute la grâce et l'élégance que ce monde eut jamais porté, Megara partit s'installer à ses côtés. Elle planta son regard dans le sien. Les yeux de la brune se voulait sûrs. Impassibles.
« Tu sais O'Leary, je me suis toujours demandée ce que faisait une orpheline de bonne famille comme toi chez les serpentards ... Je veux dire, outre le fait que ton père ait fait un grand nombre de victimes, tu n'es pas comme les autres serpentards. » Elle souhaitait y aller tout en subtilité. Aborder un sujet lambda lui semblait donc approprié, même si elle concédait avoir gravement manqué d'imagination en cet instant précis. Elle détestait se sentir si peu inspirée. Mais au fond, tout ce que Megara souhaitait, c'était passer du temps avec elle. La brune se sentait stupide. Faible même.
« Tu n'as pas peur que j'embrume ta réputation de parfaite petite serpentarde qui démolit les autres avec des cognards ? » Un rire cynique fit vibrer ses lèvres. Elle ne prit pas la peine de répondre. Elle n'en éprouvait pas le besoin. Elle profitait simplement de l'instant présent. Elle se sentait... Bien. Horriblement bien. A ce moment, elle se surprit à penser que cette histoire pouvait peut-être mener quelque part. Elle se retourna un peu plus vers Prim et replaça l'une de ses mèches blondes derrière son oreille. Megara profita de son attention pour lui offrir un sourire mielleux et enjôleur. La plus jeune détourna le regard, les joues rouges. Lancaster ne put s'empêcher de trouver ça adorable et décida de prendre avantage de la situation en la poussant au sol d'un geste de pied. Rapide. Discret.
« Désolée, j'avais une crampe. Tu vas bien ? » C'était une sacrée excuse de merde. Mais c'était fait exprès. Pour la taquiner. Pour la chercher. Maintenant qu'elle l'avait, elle voulait la garder. Jouer avec cette pauvre petite chose lui plaisait. Prim se releva et s’assit sur les jambes de son bourreau. Pour se venger peut-être. Megara s'apprêtait à répliquer, quand la blonde décida soudainement de partir. L'ainée observait l'autre O'Leary du coin de l’œil. Elle haussa imperceptiblement les épaules. La prochaine fois elle s'arrangerait pour être dans un coin encore plus discret.
« Je vais te laisser, je dois y aller. Euh … Salut ! » Sa gène fit sourire Megara. Son côté carnassier reprit rapidement le dessus. Désormais elle en était certaine. Elle la voulait plus que jamais. Prim lui appartiendrait un jour ou l'autre.
Dernière année. Dernier match de la saison. Il fallait que les serpentards gagnent à tout prix. Megara souhaitait rendre cette finale absolument grandiose. Elle ne se gênait donc pas pour effectuer quelques figures acrobatiques tout en envoyant valser le cognard vers ses adversaires. Les gradins étaient complètement plein à craquer. La foule se déchainait. La pluie fouettait les visages des joueurs, mais aucun ne voulait lâcher le morceau. Ils iraient tous jusqu'au bout de ce match. C'était encore plus symbolique pour Megara, puisqu'elle jouait ses derniers instants sur un balai. Elle n'aurait plus beaucoup d'excuses pour en chevaucher un une fois sa scolarité finie. Alors elle s'y donnait corps et âme. C'était les seuls instants où elle avait l'impression d'être entière. Complète. En phase avec elle-même. Enfin, ça et les moments qu'elle passait avec Prim.
Sa petite Prim. Son cœur se serra à cette pensée. Les deux prochaines années où Prim serait à Pouldard et elle dans la vie active s'annonçaient longues. Très longues. Elle aurait presque voulu gâcher son avenir en postulant pour l'un des postes de professeurs qui venait de se libérer. Non seulement ses parents auraient crié à l'hérésie, mais en plus son égo personnel aurait lui aussi pris un grand coup. Alors qu'elle renvoyait un cognard, Megara fut soudainement prise d'une violente crise de panique. Et si elle ne revoyait jamais Prim ? Et si leurs chemins se séparaient trop pour qu'ils puissent se recroiser ? Elle ne supporterait pas de la perdre. Elle plaça une main sur sa poitrine. Le tissu se froissa sous sa poigne. Elle avait de plus en plus de mal à respirer. Son balai vacilla et sans qu'elle ne s'en rende réellement compte, quelques minutes plus tard, elle se retrouvait en chute libre. Elle entendait le présentateur, au loin, beugler des paroles incompréhensibles suite à son plongeon. Mais tout devenait flou autour. Les voix se mêlaient. Les couleurs formaient un amas indistinct. Et soudain, le noir total.
Depuis ce jour, le comportement de Megara s'était nettement dégradé. Elle devenait distante avec son entourage et prenait un malin plaisir à pulvériser quiconque lui faisait une remarque déplacée (ou pas). Tout le monde avait remarqué qu'elle était un peu plus à cran. Mais personne n'osait lui en toucher mot. Elle essayait de s'éloigner de Prim aussi. Mais toutes ses résolutions se désintégraient dès que celle-ci entrait dans son champ de vision. Elle était devenue tellement faible. Impuissante. Elle qui avait l'habitude de contrôler ses émotions au millimètre près. Ce n'était désormais plus qu'au centimètre. Un centimètre qui à ce rythme, n'allait pas tarder à se changer en mètre... Megara faisait son maximum pour sauver les apparences et intérioriser. Intérioriser. Encore. Et encore. Et encore. Elle ne savait pas combien de temps elle allait pouvoir continuer comme ça. Autant de temps qu'il le faudrait... Autant de temps qu'il le faudrait, se répétait-elle vainement. Peut-être que quitter Poudlard l'aiderait, finalement. Peut-être que l'éloignement lui ferait du bien. Les étranges sentiments qu'elle nourrissait pour Prim la consumaient à petit feu. Elle ne désirait pas leur donner de nom. Ça serait se prendre la vérité en pleine figure. Megara était entrain de mourir. De crever sans pouvoir rien n'y faire. Lorsque l'année toucha à sa fin, elle se dissipa. Régressa de plusieurs années. Elle était redevenue l'ancienne elle. La fille intérieurement vide. Adieu tourments. Désormais, les langues-de-plomb l'attendaient.
Sa sortie de Poudlard marqua également son entrée définitive dans le Cercle. Elle participait activement aux réunions et activités en tous genres. C'était la seule chose qu'il lui restait. Elle s'y attachait telle une naufragée à une bouée de sauvetage. Son père lui avait rabâché toute sa vie qu'elle finirait par y entrer. Maintenant qu'elle y était, Megara comptait bien laisser une empreinte indélébile dans l'histoire du Cercle. Elle ne voulait pas mourir sans avoir accompli quelque chose. Sans avoir donné du sens à sa vie. Elle avait peur qu'on l'oublie. Qu'on ne en la considère jamais que comme la fille de ou sœur de. Elle souhaitait exister en son propre nom. Devenir quelqu'un. En réalité, elle cherchait à pallier au vide qu'avait laissé Prim en essayant de se prouver qu'elle pouvait subsister sans. Elle avait compris que ce jour-là, sur le terrain de quidditch, son cœur n'avait pas cessé de battre, il avait commencé à le faire.
Les mois passèrent. Elle quitta son poste au ministère et se lança dans une vie exclusivement mondaine. Elle avait repris le contrôle d'elle-même. C'était la digne création de son père. Elle se sentait de retour en enfance, lors de ces réceptions pompeuses où elle se forçait à sourire. Une version améliorée de cette petite fille fragile mais forte en apparence. Elle était tellement habituée à toutes ces fioritures que son attitude paraissait plus naturelle que jamais. Megara avait pris de l'assurance aussi. Que dis-je. Elle transpirait l'assurance. Et puis, son physique lui permettait de s'attirer les faveurs des plus beaux partis. Elle prenait lentement et inconsciemment goût au faste. Dire qu'il y avait quelques années, cette vie commençait à la répugnait... Aujourd'hui, elle se sentait à nouveau en phase avec celle-ci. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait tenté de lutter contre ce destin. C'était inévitable. Inéluctable. Elle était vouée à finir comme sa mère : un pot de fleurs. Non. Elle ne serait pas qu'un simple pot. Elle serait un jardin entier. Un jardin rempli de secrets. De fleurs aussi magnifiques que dangereuses. D'une végétation aussi fascinante que sauvage.
Oui enfin. Ça c'était avant. Avant de recevoir l'invitation à
son mariage. Techniquement, elle n'avait pas personnellement reçu l'invitation. Sa famille en avait reçu une. Mais son père lui en avait fait part. Il souhaitait qu'elle l'accompagne, lui et sa mère. Histoire d'afficher une image soudée de la dynastie Lancaster. Megara se demandait seulement si elle allait pouvoir supporter le tableau. Elle pesait le pour et le contre. Combien même elle savait qu'elle n'aurait pas d'autre choix que de se montrer. Elle ne pouvait pas se permettre de refuser quelque chose à son père. Pas quand elle se savait dépendante financièrement. Et puis, pourquoi pas, après tout. Elle pourrait se sentir encore plus pitoyable que jamais. S'enfoncer plus bas que terre jusqu'à découvrir un gisement de pétrole. Elle se demandait comment. Comment Prim pouvait se marier à ce... Cet homme. Comment elle avait pu lui faire ça. Un français d'après son père. Elle s'en foutait complètement. Français, bulgare ou anglais, ça revenait au même. Il allait s'approprier
sa Prim. A cet instant précis, si elle en connaissait les fondements, elle serait probablement entrain de tester des techniques de vaudou sur lui. Elle aurait peut-être dû sérieusement considérer l'offre de cette femme à la peau mate qu'elle avait rencontré plus tôt dans le mois au Pré-au-lard.
Ainsi, elle se retrouva en plein milieu de centaines d'invités. La cérémonie avait eu lieu. Elle avait senti son cœur éclater en morceaux. Elle souffrait silencieusement. Faisait même semblant de s'amuser. Elle noyait son chagrin dans le champagne. Dans sa tristesse. Dans sa haine et sa colère. Elle en voulait à Prim. Elle s'en voulait à elle-même. Alors qu'elle riait aux grands éclats avec quelques connaissances, quelque chose entra en contact avec son épaule. Elle tourna la tête pour tomber nez à nez avec
elle. Quoi ? En plus de lui infliger cette cérémonie, elle souhaitait aussi lui rappeler à quel point sa présence la dérangeait ?
« Vous vous amusez bien messieurs dames ? Votre compagnie me touche vraiment. » La bonne blague. Megara esquissa un semblant d'air sarcastique sur le visage. Mais elle prit soin de ne pas trahir son secret.
Leur secret.
« Je vous pris de m'excuser, je vous emprunte cette jeune femme. Nous avons tant à nous dire ! » Tant de choses ? Vraiment ? Megara, elle, n'avait rien à lui dire. Tout ce qu'elle voulait, c'était lui cracher du venin à la figure. Faire souffrir Prim autant qu'elle la faisait souffrir. Elle souhaitait extérioriser toute cette rage... Sans pouvoir le faire. Ses parents veillaient au grain, non loin. La blonde la tira par le bras à l'abri des regards, dans une pièce quelconque de la maison.
« Le champagne est très bon, il vient de France lui aussi ? » Prim ferma la porte à clé. Megara ne put s'empêcher de lever un sourcil, avant d'aller s'appuyer sur le bureau qui trainait par là. Elle but une nouvelle gorgée de son champagne, comme si de rien n'était.
« Ne fais pas l'imbécile Megara, tu sais très bien que je ne suis pas fait pour épouser une telle personne. » Non ? Sans déconner ? La brune ne put réprimer un rire moqueur. Elle l'aimait. Elle aurait pu tout abandonner pour Prim. Et qu'est-ce que ça lui avait rapporté ? Rien. Une place aux premiers rangs de son mariage avec ce pingouin venu de France.
« Pourquoi tu es venue ? C'est pour te foutre de ma gueule ? Je crois que tout ceci m'humilie déjà assez, alors te voir ici ça ne fait qu'empirer les choses. » Non mais elle rêvait. Elle avait envie de lui crier que ce n'était pas le centre du monde. Que tout n'était pas que question d'elle. Mais les mots restaient coincés au fond de sa gorge. Sans compter que Prim représentait bel et bien le centre du monde de Megara. La coupe de champagne faillit se briser sous ses doigts. Elle eut la lucidité esprit de la déposer sur le bureau et décida finalement de couper court à la conversation.
« Très bien, ma chère mariée. Vous formez un joli couple madame Adhémar. Passez une bonne soirée ! » Elle quitta la pièce, blessée.
Ce soir là, elle aurait voulu mourir. Mais elle avait encore trop de dignité pour renoncer à la vie. Megara essaya de se recomposer au mieux. Elle étouffait sa solitude dans les bras d'autres femmes. Toutes blondes. Toutes plus jeunes. Elle tentait de se l'ôter de l'esprit. De l'oublier comme
elle semblait l'avoir fait. Voir le couple Adhémar comblé et bien portant, même rien qu'en apparence, lui brisait encore plus le cœur. Si c'était encore possible de le faire. Heureusement, il lui restait toujours le Cercle. Sans, sa vie se serait complètement échouée, tel un bateau sans phare. Elle se donnait corps et âme dans ses missions. Se perdait âme et conscience dans ces mondanités. Plus que tout, elle désirait passer à autre chose. Mais son passé semblait vouloir continuer à la garder enchaînée à ses regrets. A son amour perdu. Maintenant qu'il était hors de portée, elle osait enfin lui mettre un nom. L'appeler amour. Elle n'aurait jamais cru en être une si grande victime. Ce n'était pas censé être beau, l'amour ? Pourquoi ça la faisait autant souffrir, alors ? La mort du mari de Prim apaisa déjà un peu cette souffrance. Une lueur d'espoir renaissait presque dans ses yeux. Mais Megara n'en voulait pourtant pas. Elle n'en voulait plus. Non. Elle ne voulait pas se fourvoyer à nouveau. S'aveugler. Se faire de faux espoirs. Elle préférait souffrir maintenant et attendre que le temps fasse son œuvre. Elle s'était résignée à ne plus rien attendre de personne. Ou même de la vie. C'était moins décevant. Plus lâche mais plus facile. C'était Megara.