mischief managed

Moi, personne ne me sauverait. Et plus terrible encore, je ne sauverais personne. Il fallait être capable de se sauver soi-même pour prétendre aider les autres.

Je pose ma main sur la poignée de la porte, prêt à entrer. Mais quelque chose me retient, sans que je puisse savoir quoi. Si je devais mettre des mots dessus, je n'y arriverais certainement pas, bien que « fatalité » semble être un terme approprié à cette force surnaturelle qui me garde de l'autre côté de la porte. Du bon côté, comme du mauvais. Je n'en sais rien, à vrai dire. Cela se passe ainsi, quelquefois, quand dans l'hôpital il me faut faire mon travail. J'arrive à me dire : il y a un problème au-delà de cette porte d'un blanc immaculé. Mais ce vocable n'a pas l'effet escompté cette fois-là. Mes lèvres se tordent dans une grimace que quiconque passerait dans ce maudit couloir, qualifierait d'ignoble, mais puisqu'il n'y a personne à cette heure là de la journée, dans cette allée là, je ne me soucie pas du comment elle pourrait être interprétée. Après tout, je m'en fiche comme de l'an quarante. Ce n'est pas cela qui me fera cesser, comme les critiques des autres n'arriveront à m'enfoncer dans le sol. D'une part, je le suis déjà, sous terre, immergé jusqu'au cou. Mais cela aussi, je m'en contrefous. Parce que nous le sommes tous, de différentes façons, à différents endroits. A l'étage qui précède celui-ci, de nombreuses personnes se trouvent être dans mon cas, ou pire. L'étage suivant en est infesté aussi, comme la rue qui borde l'emplacement de Saint-Mangouste, comme Londres tout entier, comme l'univers sorcier en général, ou plus communément : Le monde. Nous possédons des maux inguérissables, des peurs ingérables, et des blessures qui jamais ne se refermeront. Il y a un problème. Je le sens cracher goutte à goutte son venin, et embaumé l'air d'une odeur putride, mesquine. Ce n'est ni l'odeur de la mort, ni celle d'une quelconque maladie. C'est l'effluve de l'absurdité, de l'étourdissement et de la peur. Je ne comprends pas, moi non plus. Mais comme certains le répètent souvent, je ne suis jamais arrivé à déceler une quelconque logique d'un fait, ou d'une parole. Tout n'est qu'amas d'incompréhension, ponctué quelquefois d'éclair aveuglant où la vérité reflue brusquement du gouffre lugubre où elle était plongée. Elle n'arrivait pas souvent à remonter, la vérité. Je dirais même qu'il n'y parvenait presque jamais. Simplement, quand elle se trouvait là, devant nos yeux, la douleur réapparaissait elle aussi, affublée de la colère, puis du sentiment de trahison. Et les plaies redevenaient comme à leurs débuts : béantes. Un cercle vicieux. Mensonge, blessure, vérité, blessure, mensonge, vérité, coup, blessure, sang, mensonge, mensonge, mensonge, trahison, pleurs. J'avais ressenti tout cela, à différentes étapes de mon existence, toutes se superposant plus ou moins bien, ou s'alignant maladroitement. C'est houleux, une vie. Ça tombe, ça remonte, ça suffoque. Ça se casse la gueule, rarement, si la chance nous est affublée à la naissance -jamais elle n'arrive, au cours d'une vie, sans prévenir, sans une quelconque raison, la chance est simple, elle pose ses bagages dès nos premiers cris, ou pas, rien de plus- ça se rattrape lamentablement, aussi. En somme, il n'y a rien de plus malhabile qu'un cœur qui bat, parsemé de fausses notes, d'erreurs en tout genre, de sourires et de peines. On ne sait jamais où nous allons tomber, où tout cela va nous diriger. C'est du moins ainsi que je voyais les choses. Mes propres fondements, que je ne saurais dire inébranlables ou pas. Qui ne change pas d'avis est un imbécile, selon moi. Un bel imbécile qui croit que quelque chose peut être permanent. Mais rien ne l'est. A part peut-être la mort. Je connais cette dernière. Elle s'immisce dans une existence, et noircie tout d'une fumée épaisse et bien noire. J'en sens encore les particules dans mes yeux, elles me brûlent, toujours. Acres, cinglantes, réelles. La mort me brûle, et je ne peux rien faire pour l'en empêcher. Depuis que mon père a succombé à ses maux, mon propre chemin est obstrué. Cela fait vingt-deux ans, si mes souvenirs sont bons. Et j'ai certainement le droit de le dire. Bien sûr qu'ils sont bons, je me rappelle de tout, ces choses-là ne partent jamais de notre esprit. Elles restent, encrées au plus profond de notre être, et chaque jour, il faut faire avec. Il n'y a aucune échappatoire. Il fut un temps où je nourrissais ces souvenirs-là. Mais j'ai définitivement arrêté, depuis longtemps. Bon, depuis deux semaines, d'accord. Cela a été dur, un peu, beaucoup. Et cela n'a servi à rien. Je revois encore dans mes cauchemars les crises de folies dévastatrices, les guérisseurs accablés, les pleurs, la tombe, le néant. Je me revois encore hurler devant sa tombe, à en éclater mes douloureux poumons. « T'EN AS PAS MARRE ? T'EN A PAS MARRE D'ÊTRE MORT ? » Parce que moi si. Ma famille est tout ce que je possède, depuis le début. Et on est en train de me l'enlever. Pour cela, j'en veux à mon père, à son sang, à Askaban qui a réussi à lui donner sa folie. Pour cela, j'en veux à la guerre, au seigneur des ténèbres. Pour cela, j'en veux à Harry Potter et le temps qu'il a mis à réagir, bien que mon comportement tienne du pur égoïsme, si ce n'est pas de la désolation. Il y a de ces deux sentiments à l'intérieur de mon cœur. Mais je ne saurais dire lequel prime sur l'autre. Sur tout le reste. A moins que la guerre ne puisse être détrônée. J'ai été conçu au cours de cette dernière, et je finirais dans la prochaine. Jamais je ne donne raison à ce qu'on appelle vulgairement le destin, mais ici, il ne pourra jamais en être autrement. Car les batailles sont toujours là, et qu'il faut bien des personnes pour abreuver leur soif dévastatrice.

Je ne me résigne toujours pas à faire un pas, à enclencher le mécanisme qui ouvrira cette porte. Mes yeux ne veulent pas voir ce qui se trouve au-delà de cette dernière, mais mon cœur n'est pas de cet avis. Je déteste quand, dans ces moments de panique discrète, mon être tout entier est en désaccord avec lui-même. Je sonne faux. Je suis faux. Barrow le barré, né d'un père rendu fou par ses geôliers, né d'un père mort, d'une mère terne et maussade, que le temps n'arrive pas à guérir. On dit que nombreux enfants se sont retrouvés dans mon cas, des petits sorciers dont les parents né-moldus ont été malmenés durant la Terreur, et tout ce qu'elle impliquait. Mais où sont-ils, ces enfants ? Je ne les vois pas, je ne vous vois pas. A Poudlard, j'étais Barrow le barré. A Londres, j'étais Barrow le barré. Et personne ne me ressemblait. Et je ne ressemblais à personne. uc.