mischief managed
Une petite flamme jaillie de la pointe de la baguette de bois de vigne éclaira brièvement les traits rapaces d’Argon. Puis la cigarette qu’il avait coincée entre ses lèvres éternellement moqueuses s’embrasa en grésillant. Il rejetta la fumée en soufflant paresseusement par le nez. Pendant un bref instant, tout son profil osseux se retrouva flouté, voilé, par les acres volutes de tabac. Enfin il parla, où plutôt répondit à la question posée. «-
En effet, je souhaiterais débuter une thérapie.» Dans l’ombre son sourire s’étira. Un rictus, en lâme de rasoir, où l’éclat luisant de ses dents se révélait à peine entre les rondeurs exangues de ses lèvres. Ses yeux brillaient. Comme un animal, un fauve, il avait légèremment penché la tête sur le côté et étudiait avec une attention inquisitrice son interlocutrice. Mal à l’aise cette dernière reposa sur la table de verre le parchemin qu’elle était en train d’étudier et rendit son regard au psychiatre. «
-Un psychomage, qui se fait prescrire une thérapie. Ce n’est pas courant monsieur Tyrconnell. Un problème particulier sur lequel vous avez besoin de travailler ?»
Un bon point pour elle, elle ne portait pas de lunettes. Preuve que les clichés au sujet des psychomages avaient la vie dure ces derniers temps. Pour le reste, elle devait avoir passé la cinquantaine. Un corps pas trop fletri. Quelques rides au coin des yeux, des cheveux blonds retenus en un stricte chignon et des jambes encore fines. Le tailleur gainant sa silhouette était de couleur terne. Mais l’élégante paire d’escarpins qu’elle portait réhaussait un peu le charme de l’ensemble. Pas d’alliance à son annulaire. Surement une femme divorcée. La profession avait un effet devastateur sur les couples. A force de gérer les nevroses des autres on finissait par en oublier ses propre défauts.
Satisfait de son inspection, Argon appuya son dos contre le dossier du grand divan. Le cuir immaculé, odorant, craqua sous son poids. D’une pichenette il fit tomber la cendre de sa cigarette dans un cendrier. Sa réponse franchit la barrière de ses lèvres dans une bouffée de tabac. «
-Si l’on escompte le fait que je suis un fumeur compulsif ; que je baise tout ce qui bouge (avec une nette préférence pour mes patientes les plus détraquées ou cinglées) ; et que je porte sur le bras la marque des mangemorts...Non je n’ai pas de problème.»
Une pause. La fumée, piquante, désagréable tourbillonnait autour du visage d’Argon. Ses yeux bleus scintillaient funestement dans la pénombre. Il souriait. Provoquant, presque meprisant. En face de lui, assise bien droite dans son grand fauteuil, la psychiatre se racla la gorge.
«-A dire vrai monsieur Tyrconnell je ne comprend toujours pas le but de votre venue.» En réponse le psychiatre se passa mollement la langue sur ses lèvres que le tabac avait déssechées. Le bras rejetté sur le dossier du divan comme s’il enlaçait les épaules d’une femme invisible, il secoua doucement la tête. «
-Voyez vous, docteur. Je suis marié depuis quinze ans à une belle femme. Je mange et baise ma faim. Pas de problème d’argent et mes activités pour les mangemorts occupent très largement mon temps libre. Pourtant je me sens vidé. Lassé. Les moldus ont un mot pour cela : le Blues.»
Ce fut au tour de la psychiatre de le détailler avec insistance. Elle prenait des notes sur un parchemin. De temps en temps sa grande plume d’aigle à la plume dorée tintait contre l’encrier. Confiant, Argon se laissa observer. Elle était trop maligne, bien assez expérimentée pour se douter qu’il ne choisissait jamais ses tenues au hasard. C’était ça de travailler dans une branche où l’habit faisait le moine.
Pour patienter Argon s’amusa à imaginer ce qu’elle voyait. Un homme de grande taille, à la silhouette élancée et à la carure puissante, masculine. Un charme virile qu’il entretenait avec un soin certains en optant toujours pour des costumes trois pièces à la coupe discrète. Il avait ouvert les boutons de sa veste noire au moment de s’asseoir sur le canapé. Une cravate gris clair, close par noeud double, reposait sur le tissu repassé, aux plis marqués, de la chemise cintrant son torse. Par transparence, l’étoffe de la chemise laissait deviner la marque colorée (un cercle rouge) d’un paquet de cigarette contenu dans sa poche de poitrine. Plus bas, une ceinture de cuir verni, à boucle d’argent simple, fermait son pantalon. Ce dernier devait avoir été fait sur mesure puisque ses revers inférieurs, tombaient parfaitement sur ses chaussures de ville (elles aussi lustrées avec une attention frisant la maniaquerie). Les tissus, les formes, étaient sobre. Couteux, sans avoir le mauvais goût du clinquant. La tenue d’un homme sur de lui. Arrogant.
La plume d’aigle s’échoua dans l’encrier de verre en tintant. La psychiatre releva la tête de ses notes puis lança. «
-Très bien monsieur Tyrconnell, nous allons voir comment vous redonner le goût de vivre. Peut être pourriez vous commencer par parler de vous. Votre histoire, votre passé.» Comme s’il n’avait pas entendu, Argon détourna le visage et écrasa avec lenteur son mégot dans le cendrier. La braise écoeurante grésilla. Un filet maladif de fumée s’éleva de la cendres et s’accrocha à ses doigts aux tendons puissant. L’ancien serdaigle au profil de rapace poussa un soupir désabusé en se laissant retomber dans le profond canapé. Il pianotait d’une main aux ongles manuré sur sa cuisse. De temps en temps, son alliance d’argent captant l’éclat des chandelles alentour, jettait un bref éclair de lumière dans l’obscurité capitonnée du cabinet de consultation. Puis après avoir laissé le silence s’éterniser il prit la parole.
«
-Ma mère m’a abandonné lorsque j’avais trois ans. D’elle je ne me rappelle qu’une flamboyante paire d’escarpins rouges s’éloignant en claquant sur le parquet sans se retourner. Ce qui explique d’ailleurs en partie, mon obsession pour les chaussures de femme. Lorsque je suis face à une inconnue je regarde d’abord ses pieds. Peut être en espérant y retrouver les escarpins rouges de ma mère disparue.» Surprise la psychiatre grimaça. Argon eu un sourire moqueur. Le code aurait voulu qu’il lui facilite la tâche en commençant par le début. Mais cela aurait été bien trop facile. Terriblement ennuyeux, n’est ce pas. Au risque de parler trop vite et de la perdre dans les notes qu’elle prenait, il enchaina. «
-Mon père a toujours été effacé. Le descendant d’une obscur lignée au nom noble, mais au sang depuis longtemps dilué par des mariages moldus. Ce qui ne l’a pas empêché d’embrasser à pleine bouche les idéaux conservateurs du seigneur des Ténèbres. J’ai donc grandi en compagnie d’un père dépassé par les évennements. Que tout le monde moquait et meprisait, mais qui s’imaginait appelé à un grand destin.» D’un geste sur, il extirpa une nouvelle cigarette de son paquet et se la coinça au coin des lèvres. Un petit coup de baguette pour l’allumer puis il rejetta la fumée par les narines avec volupté. Il parlait d’une voix clair, grave et posée. Habituée à ciseler chaque mot, à ne buter sur aucune lettre. «
-J’étais en cinquième année lorsque Voldemort a été défait. Mais depuis longtemps sensibilisé (par mon père) aux grands objectifs des mangemorts. Même la mort de mon frère ainé, lors de la bataille de Poudlard n’a pas douché mon enthousiasme à verser du sang moldu lorsque je m’ennuie. Néanmoins, je ne me définirais pas comme un serviteur zélé. Mon acception de la cause est tout ce qu’il y a de plus raisonnée et reflechie. Disons pour faire simple que c’est un moyen comme un autre de canaliser la violence qui m’habite.»
Argon s’exprimait sans hésitation. Enchainant les phrases avec harmonie. Prenant garde à ne pas laisser le temps à la psychiatre de le couper ou de le détourner de ses pensées. Comme avec ses propre patients, il dirigeait la conversation. Entre ses lèvres les mots étaient un fleuve, un flux puissant, envoutant, dont il gérait le débit à la perfection et canalisait le cours en fonction de ses désirs. «
-D’ailleurs la violence m’a toujours fascinée. Obsédé serait même le terme clinique. Dès la fin de mes études et mon diplome de Poudlard en poche je me suis dirigé vers l’apprentissage de la psychanalyse pour me spécialiser dans l’étude des grands criminels de notre temps. Inutile de préciser que le travail ne manque pas. Pour l’heure je suis affecté à la prison d’Azkaban ou je m’occupe de nos tueurs les plus coriaces. A moi de leur donner les armes pour canaliser leurs folies et dompter leurs instincts délicieusement bestiaux.» Toujours la fumée de cigarette qui l’environnait. Les senteurs lourdes, apres du tabac se mêlant aux notes plus capiteuses de son parfum. «
-Je me prend ma tâche très à coeur. Trop peut être puisque j’ai la facheuse tendance de coucher avec mes patientes les plus cinglées. Tueuses en série, mangemortes à la cervelle carbonisée, junkies nympho, je les baise toutes. Pourvu qu’elles aient cette petite étincelle de folie dans le regard. Je ne suis ni très regardant sur la cadre (une cellule puante me va très bien), ni sur la qualité de la marchandise. Après tout un peu de bave aux lèvres n’a jamais tué personne.»
Son sourire s’élargit. Carnassier, prédateur. Les lèvres pâles, moqueuses paraissaient rire. Mais son regard, profondément enfoncé sous des orbites angulaires demeurait terriblement froid. La flamme d’un plaisir cruel dansait dans ses pupilles. Sans s’en rendre compte il se passa brièvement la langue sur les lèvres. «
-Avec ma femme, par contre c’est une autre histoire. Inutile de préciser qu’elle portait des escarpins rouges lors de notre première rencontre. D’une certaine manière je pense que je l’aime. Du moins je la respecte et l’estime. Elle me le rend bien.» Narquois, Argon agita devant lui sa main droite, où scintillait l’anneau d’argent de son alliance. «
-Nous n’avons jamais eu d’enfant. Mon épouse est stérile ; la faute à un accident malheureux. C’est peut être mieux ainsi d’ailleurs. Je n’aurais jamais été un bon père. Vous vous demandez si elle connait mes penchants pour les aventures extra-conjugales ? Surement. Mais elle le tolère. Sa manière à elle de se faire pardonner de ne pas être en mesure de me donner un héritier.»