Moderation is a fatal thing. Nothing succeeds like excess.
Le jeune homme avait trop bu. Euphémisme. Il boit toujours trop, et il lui suffit de murmurer un vacillant
« j'ai bu » pour que son entourage ne comprenne ce qu'il en coûte. Toutes les soirées sont siennes, toutes les effluves d'alcool également. Parce qu'elles jugulent son anxiété constante, celle de ne pas être à la hauteur. Il noie son zèle et son ambition dans l'ivresse de la vodka et la chaleur d'un corps féminin ; la douleur s'atténue pour une nuit mais reprend de plus belle le lendemain. Elle frappe à son crâne de longs coups terribles, gueule de bois complice de sa lucidité. Ses excès festifs lui permettent d'oublier cette pression qu'il s'inflige, le pic à son coeur qui lui transperce les artères. Cette volonté farouche d'atteindre la perfection professionnelle le ronge et s'ajoute à celle-ci la démesure. La gangrène des bacchanales a rongé ses flancs depuis longtemps. Un jour il passera à la vitesse supérieure, au grand dam de sa frangine.
Il suffoque, sa gorge se noue. Passe une main sur son front moite et enfin se relève. Son regard, deux billes d'ambre noire perçant l'obscurité telles les pupilles d'un chat, se tourne vers Matt, l'un de ses plus proches amis. D'une salive pâteuse et rare, Phoebus déglutit difficilement et se redresse dans son lit de fortune : un sofa qui au sortir d'une nuit arrosée a accueilli son corps alourdi par la débauche te la vodka.
« Quoi ? » Il plisse les yeux, le souffle court. La pupille ronde et pleine balaie l'appartement de Matt, véritable sanctuaire béni par des cadavres de bouteilles. C'est ensuqué par le sommeil que son ami réplique :
« T'as une Betty accrochée à ta jambe. » Phoebus coule un regard vers la silhouette blottie contre lui ; l'alcool alourdit tant ses membres qu'il ne l'avait guère sentie. Véritable cocon protecteur qui lui défonce le crâne.
« Je suppose qu'on a... » Bien sûr qu'ils ont...
« Bah ouais. » « Non mais je veux dire... Sur le... » « Sur le sofa. » « Devant... » « Ouais. Mais non ça va, c'était discret. Pas comme avec Swann. » « Qui ? » « C'est plus un trou noir que t'as, c'est un gouffre. Swann Harrington, la fille de cet avocat que tu ne peux pas piffrer. T'y es allé fort. Mais je comprends, j'aurais fait pareil pour me venger de cet enfoiré, après tout il veut prendre ta place. » Le jeune Hopkins soupire tandis qu'il replace les idées dans son esprit. Les pièces du puzzle s'imbriquent et tout devient limpide.
« Oh fuck off. » Dans un souffle Phoebus se laisse tomber non sans maudire ce mal de crâne, il susurre sa peine par un gémissement qu'il étouffe. Et plus il se souvient, plus il se blâme.
~*~
La veille.
« Puck ! Puck ! Puck ! »La fête bat son plein et la musique assourdissante résonne à ses oreilles tel un tambour incessant. Mais seules leurs voix lui parviennent : coagulées, vaporeuses, lointaines... Ils l'acclament, ils l'adulent, ils l'appellent. Le jeune homme n'ignore pas qu'ils l'apprécient moins pour son argent que sa personnalité, celle qu'ils croient vraie et brute. Celle qui esquisse un Phoebus sociable et bien dans sa peau. Mais ils ignorent combien de rivaux il a dû abattre pour monter l'échelle de sa profession. Lui déjà si jeune, a déjà fait tomber des têtes par la lame de son ambition. Aucun regrets. Ce jeune homme travailleur a comme une pression permanente contre ses flancs, elle remonte insidieuse le long de ses veines, de ses poumons, de son palpitant. S'il ne réussit pas, alors autant n'être personne. Cette perfection recherchée telle une Terre Promise le rendra fou, preuve en est que s'il est propre sur lui, Phoebus rumine continuellement comme un goût âpre contre son palais. Mélange d'amertume et de douce folie contenue. Il faut qu'il éclate, qu'il implose, qu'il se déchire. Les excès festifs le lui permettent amplement, et le brun ténébreux s'abandonne dans les bras du chaos nocturne. Parfois, quand il y repense et qu'il ressasse ses débauches, il se voit comme l'un de ces anti-prolo qui va aux putes et se pense humaniste parce qu'il en appelle à ses droits d'homme surpuissant. Le businessman bien penseur et mal pensant. A gerber.
Un sourire ourle ses lèvres comme il porte à sa bouche son énième shooter de vodka.
« Sept ! » qu'il clame haut et fort, sous les acclamations de ses nombreux amis alors qu'il repose le verre vide avec force sur la table. La vérité c'est que son cerveau est trop embrumé pour savoir compter, un comble pour un génie d'arithmétique tel que lui. Mais ce n'est rien, eux aussi ont oublié. Il est six heures du matin, tout le monde titube. Ce soir comme tous les soirs de fête, Phoebus a trop bu et trop fumé, ne s'est pas essayé à la drogue puisqu'il déclame à qui veut l'entendre que sa chère sœur désapprouverait totalement. Même ivre, il la respecte. Il lui manque cependant ce quelque chose, cette chaleur d'un corps, cet amour éphémère : si Hopkins junior est volage ce n'est guère parce qu'il se transforme en cliché hollywoodien ambulant. Jeune homme ambitieux, charmant, rhétoricien et plein aux as. Manquerait plus qu'on lui calque la gueule de l'anti-héros de cette mauvaise ôde au SM qu'est Fifty Shades. Non, si Phoebus aime à butiner, c'est parce qu'il aime les femmes. Mais aussi parce qu'il craint qu'une histoire passionnée n'empiète sur sa vie professionnelle. Il le tait, pourtant. Etrangement l'on est mieux perçu lorsqu'on enchaîne les filles par simple lubricité exacerbée que par raisonnement pragmatique.
Ivre de débauche, il se lève alors, scinde la foule tout en ignorant cette musique vomissant des ondes trop fortes. Sans vraiment savoir pourquoi, le jeune homme monte sur une table et cherche de son regard prédateur une silhouette presque familière. Swann Harrington. Dix-neuf ans, physique ingrat, démarche pataude. Le nez toujours fourré vers le sol, témoin de son mal être constant. Il n'a rien contre elle, de prime abord. Mais il se souvient qu'elle est la fille de Stephen, avocat grisonnant en pleine crise de la quarantaine. Brillant et arriviste. Son rival numéro un, celui qu'il doit évincer, pousser hors de la scène pour s'approprier complètement sa lumière. Si encore son état que Phoebus juge grabataire était un handicap dans le monde de la justice, à l'instar du monde du business, ce serait plus aisé. Las cependant : au magenmagot, plus l'on vieillit et plus on se voit accorder du crédit.
« Swann, jolie Swann, rejoins-moi ! » Il va la mettre à mort. Ce qui ne se voit pas sur son sourire charmant se lit dans l'alcôve de son regard carnassier.
Il la voit qui s'approche, gauche et empourprée. Elle hésite, vacille, et en toute certitude ne sait pas même ce qu'elle fait là ni à quoi rime cette invitation. C'est simple, pourtant. Hopkins prône l'humiliation de ses rivaux, et pour les détruire n'hésite pas à frapper fort. Elle, la môme. Celle qui vint détourner le regard en rougissant lorsqu'il vint la saluer en début de soirée. L'alcool aiguise la cruauté de Phoebus, et l'animal social s'est mué en loup. La pauvre demoiselle se retrouve poussée par la foule, obligée d'accéder à sa requête l'on pourrait même entendre son cœur battant les tambours de la gêne, de l'angoisse, et sans doute de bonheur. Ce soir on la voit, on la demande, elle existe. Elle existe à travers lui, son bourreau. Pauvre créature naïve qui se hisse jusqu'à la table non sans trembler, biaisant son regard là où elle accroche moins la foule que le sol. Si mal dans sa peau qu'elle préfère ne pas offrir ce qu'elle pense être sa laideur à la vue du monde. Phoebus lui tend la main afin de l'aider à se stabiliser, et voilà que les joues de la demoiselle s'enflamment. Il sourit. Sa victoire dégueulasse est en marche. C'est la loi du plus fort, du plus machiavélique, du plus con, et du moins laid, aussi. Et c'est ainsi. Car sitôt montée, le jeune homme cale une main sur sa hanche comme il s'approche d'elle, d'un mouvement sensuel et envoûtant, piqué par une cruauté portée par l'alcool. Il l'hypnose car accroît le désir que la proie a pour lui, son sourire se fait vil alors qu'il ne la quitte plus des yeux.
« C'est ce soir ou jamais... » Elle déglutit au son de sa voix suave, son petit cœur de mésange blessé et amoureux s'agite alors qu'elle s'approche lentement. A l'instar de Phoebus, lequel mime cruellement l'avancée des lèvres, pour un baiser qui se scellera. Loup féroce et mesquin. Il avait fallu que la jeune fille l'aime vraiment pour daigner se donner en spectacle ainsi... Et alors que les lèvres se frôlent, manquant de se fondre dans un baiser, le brun ténébreux recule alors, sourire moqueur comme moue ultime.
« Non honey, à genoux. » Une lueur railleuse et perverse brille dans l'alcôve de ses yeux bruns.
« Tu ne crois tout de même pas que je vais embrasser un laideron ? » La voilà qui éclate en sanglots, pauvre petite chose, devant l'assemblée en délire. L'ange Gabriel est un bourreau, il a poussé la martyre dans la fosse aux lions. La pauvre Swann descend alors maladroitement de la table, manque de trébucher, s'enfuit en courant sous le regard victorieux de Puck. Il plisse les yeux avec malice et ravive un feu de satisfaction malsaine : celle-là était pour toi, Stephen. Il n'a aucun regret.
Et son regard dérive, inconscient, se pose sur une envoûtante créature au sourire clair et cheveu sombre. Betty.
~*~
Quelques jours plus tard.
Il s'avance d'une démarche assurée, accroche de ses pupilles fauves les mines polies de ses collègues et salue d'un signe de tête respectueux. Sourire aux lèvres, blouson de cuir, jean cintré, mallette en main. Le jeune avocat se targue d'être en avance sur son temps, d'aucuns affirment qu'il a seulement été mal conditionné par le monde moldu. Port de tête altier mais rictus mutin ourlant les lèvres ; Phoebus Hopkins respire l'assurance tant il sait où il va, ce qu'il fait ici. D'ailleurs c'est une oeillade audacieuse qu'il lance à Stephen Harrington lorsqu'il passe près de son bureau ; si les insultes ne glissent pas jusqu'à la lippe, le geste obscène dessiné par Hopkins junior à l'égard de son rival ne ment pas. L'insolence du jeune garçon est d'autant plus agaçante qu'elle ne se limite guère aux apanages des combats de coq ; c'est qu'il en a dans le crâne. Il ira loin, se fiche bien de trancher des têtes. Semble tellement parfait, engoncé là dans sa réussite et son image de gendre idéal trop propre sur lui. Un Hopkins, ne vous en déplaise. Mais las, que l'enfer bouillonne en ses tripes et agite son ventre de mille tourments ! Stephen coule sur le jeune avocat un regard retors rendu par un rictus tapageur, Phoebus continue son chemin. A peine a-t-il gommé son geste obscène qu'il serre la main à l'un des plus anciens juges du Magenmagot. Un vieil homme distingué dont le regard brille d'une fierté à l'égard de ce jeunot plein d'avenir. Stephen soupire d'agacement avant de les rejoindre. Il a ce quelque chose qui lui ronge les flancs, comme l'envie de scander à la gueule du monde que Phoebus Hopkins n'est pas si amical, ni si prévenant, ni même agréable. Aussi le fustige-t-il du regard à peine entré au sein de la conversation.
« Ah, Stephen ! Je disais justement à Phoebus que son travail sur le dossier des Matthews avait été excellent. » « Je n'en doute pas. » Stephen grince des dents, Phoebus jubile.
« Son travail n'a d'égal que sa réputation concernant ses conquêtes féminines. » « Tout à fait, je ne vise que les meilleures. On se voit au procès, Harrington. Passez donc mon bonjour à votre fille, toujours en tête de sa promo parait-il ? » Le jeune homme ne prend pas même la peine d'attendre sa réplique ; sa question n'est que purement rhétorique. Le sexagénaire à leurs côtés acquiesce, ravi, la fausse sympathie du jeune Phoebus qui s'éloigne alors sous le regard glacé de son rival. Un rictus mutin au coin des lèvres, comme une vengeance sournoise tacite.